Une évasion bien étrange au moment où le dossier des assassinats de Belaïd et Brahmi a été rouvert et que des dirigeants politiques et sécuritaires sont détenus dans cette même prison pour cette même affaire. Toutefois, cela ne doit nullement occulter les succès enregistrés par les unités sécuritaires en matière de lutte antiterroriste ni saper leur moral.
L’évasion, dans des conditions non encore dévoilées, de cinq « éléments terroristes dangereux » de la prison civile de Mornaguia constitue un incident d’une extrême gravité, d’autant que cette prison s’apparente à une forteresse. Une évasion qui intrigue et soulève des inquiétudes et des interrogations sur le modus operandi et sur les éventuels complices à l’intérieur de cet établissement pénitentiaire, comme à l’extérieur, surtout qu’il ne s’agit pas de prisonniers ordinaires, mais de détenus appartenant tous au groupe terroriste Katibat Okba Ibn Nafaâ affilié à l’organisation d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et qui sont impliqués dans des affaires terroristes contre les unités militaires et sécuritaires et dans l’assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Parmi ces éléments, figure Ahmed Melki alias le Somalien, accusé principal dans l’assassinat de Haj Brahmi.
La prison de Mornaguia dite la plus sécurisée
Située à proximité de l’aérodrome Borj El Amri, la prison civile de Mornaguia (ville située à 14 km au Sud-Ouest, rattachée administrativement au gouvernorat de La Manouba) est connue pourtant par le durcissement des règles disciplinaires régissant son fonctionnement interne. Elle constitue de ce fait l’institution carcérale la mieux sécurisée du pays, sans compter son emplacement qui est difficile d’accès. En effet, ce centre de détention se situe dans un milieu isolé, loin de toute habitation. Comment ces prisonniers, classés dangereux et soumis donc à un traitement spécial qui impose une grande vigilance et des mesures disciplinaires draconiennes, ont-ils pu quitter cette forteresse à l’aube et échapper à la vigilance des gardiens et des caméras de surveillance ?
Sans se perdre en conjectures et avancer les hypothèses les plus farfelues, il est important de signaler l’absence d’informations des sources officielles relatives au mode opératoire des cinq fugitifs. Toutefois, et selon une source proche des sécuritaires, il s’agit d’une évasion étudiée et bien organisée depuis un bon bout de temps. Il est utile de signaler que les cinq terroristes condamnés à des peines très lourdes avaient sciemment refusé de comparaître devant les juges et préféré rester dans leurs cellules de détention à la prison de Mornaguia.
Selon la mêmes source, il est important de ne pas dévoiler, à l’heure actuelle, toute information liée au modus operandi ni les éventuels complices ou encore les arrestations pour ne pas nuire à l’enquête en cours menée par les unités sécuritaires visant à mettre fin à la cavale des fugitifs, tout en n’excluant pas la possibilité qu’ils ont déjà traversé les frontières, pour rejoindre d’autres groupes terroristes.
Echec des services spécialisés
De tout temps, les services spécialisés et particulièrement les renseignements généraux ont joué un rôle décisif dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Ce redoutable organe, au temps de Ben Ali, a perdu son aura et son efficacité après la révolution. Tentatives de récupération politique, népotisme et nominations vindicatives et arbitraires ont conduit à l’affaiblissement des RG en Tunisie. Les séquelles d’une déchéance, voire d’une descente aux enfers, sont toujours là, en dépit de quelques réussites en matière de lutte antiterroriste.
D’après notre source, le système de communication entre la direction générale des prisons et de la rééducation a mal fonctionné ou n’a pas fonctionné du tout. Une défaillance due au fait que cette institution ne relève plus du ministère de l’Intérieur, mais de celui de la Justice, en vertu de la loi 2001 du 03 mai 2001. Ce qui explique l’échec de fonctionnement dont cette évasion est le témoin ainsi que la mauvaise coordination.
Sans entrer dans les détails qui pourraient nuire à l’enquête en cours, les RG assument une grande part de responsabilité, d’où la décision du ministère de l’Intérieur de limoger le directeur général des services spécialisés et le directeur central des renseignements généraux relevant de la Direction générale de la Sûreté nationale. Ainsi que celle prise par le ministère de la Justice de révoquer le directeur de la prison civile de Mornaguia. Le porte-parole du Comité général des prisons et de la rééducation (Cgrp) a annoncé d’autres mesures et décisions qui seront prises à la lumière de l’avancement des enquêtes en cours.
Arrestations en cascade et ouverture d’enquêtes administratives
Si le limogeage du directeur de cette prison se passe de tout commentaire et s’explique par sa responsabilité directe dans cette évasion, le licenciement du directeur général des services spécialisés et des RG a soulevé bien des interrogations. Les RG détenaient-ils des renseignements se rapportant à cette évasion et ont-ils jugé inutile de les transmettre, en temps opportun, à d’autres services ? La question mérite d’être posée après la révocation de ces deux hauts responsables. Ceci nous rappelle malheureusement le fameux document de la CIA relatif à l’annonce de l’assassinat de Brahmi qui n’a pas été traité avec professionnalisme par les services spécialisés.
Dans une déclaration, le porte-parole du Cgpr a expliqué que la ministre de la Justice a confié à l’Inspection générale relevant de son ministère le soin de mener des «enquêtes administratives approfondies» et de déterminer les responsabilités de chacun dans cette déroute. Une équipe relevant de l’Inspection générale, conduite par l’Inspectrice générale s’est rendue à la prison civile de Mornaguia, a-t-il encore ajouté.
Le représentant du parquet, le juge d’instruction près le Pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, le représentant du parquet près le tribunal de première instance de La Manouba ainsi qu’une unité sécuritaire mandatée se sont rendus sur les lieux afin de mener les enquêtes et investigations nécessaires.
Par ailleurs, cinq agents de la prison, ainsi que le directeur limogé, ont été maintenus en garde à vue par la brigade centrale de lutte contre le terrorisme relevant de la Garde nationale à El Aouina, sur instruction du parquet près le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme.